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À l’occasion de sa nouvelle exposition personnelle au Centre Culturel des Fosses d’Enfer, Émile Orange dévoile une sélection de peintures récentes. Toile après toile, le jeune peintre normand révèle la poésie discrète des lieux quotidiens, la profondeur des visages aimés, la douceur d’une peinture qui se niche entre mythologie personnelle et merveilles du prosaïque. Baignées d’une même lumière de crépuscule, les oeuvres d’Émile nous guident de la tombée de la nuit au lever du jour, sur des sentiers inconnus, tandis que les mystères sommeillent.

 

Annoncé dans le titre de l’exposition, citation de Michel Butor, l’ancrage nocturne de cette nouvelle série est rendu sensible par les contrastes intenses qui structurent chaque toile. Si l’espace pictural est souvent dominé par une gamme de couleurs chaudes, des touches de lumière fluorescente et des noirs profonds lui confèrent toute sa profondeur. Ces nuances de rose électrique, d’orange, de rouge sombre et de noir bleuté rappellent la palette d’une certaine mythologie moderne, faite de couchers de soleil sur les plages de Californie et de routes interminables sillonnant le désert. Face à ces personnages souriants, parfois éclairés d’un flash ou de la lumière des néons, on pense surtout à une esthétique de la fête en tant que rite collectif contemporain, où la communion surgit simultanément de l’intensité et de l’obscurité.

 

De nos rituels contemporains, il est en effet question dans la peinture d’Emile. Je pense ici au triptyque Self Care, où le peintre décompose en trois moments la routine cosmétique matinale de son modèle. Tout à coup, ces gestes insignifiants acquièrent une épaisseur mystérieuse, comme si leur apparition dans la peinture les consacrait en tant qu’actions symboliques. Avec toute la tendresse qui caractérise son oeuvre, Émile capture ici le lien ténu qui lie la routine au rituel : la répétition inlassable d’un geste inaugural. Alors la peinture célèbre un prosaïsme magique, un enchantement perpétuel face à l’inépuisable richesse des rites quotidiens.

 

Dans ce triptyque, comme dans la belle toile Chauffer dans la noirceur, ou l’excellente Icône anonyme, Émile peuple son oeuvre des visages de ses proches, d’êtres et de lieux aimés que la peinture transfigure. La référence fréquente au prototype pictural de l’icône, emprunté à l’art chrétien des premiers siècles de notre ère, n’est évidemment pas neutre. Dans la théologie orthodoxe, l’icône est un seuil du monde matériel au monde spirituel, un objet de révérence et de vénération. Par la délicatesse de son regard, le débordement d’affection que son pinceau traduit, Émile nous offre également des seuils : icônes de l’intime, ses tableaux s’ouvrent à l’universel, au symbolique. Sa peinture célèbre les visages quotidiens comme fenêtres vers le mystère et l’émerveillement.

 

Il y a chez Émile Orange une profondeur enfantine, celle que l’on accorde également aux primitifs italiens et qui traduit une ouverture spontanée à la magie du monde. Une partie d’échecs jouée sur une glacière, un papillon posé sur une paire d’Asics, une sieste improvisée dans une voiture face à la mer, voici autant d’évènements que sa peinture révèle dans toute leur fragile beauté. De l’enfance, Émile conserve également le goût du jeu, ce désir de vivre dans des récits que l’on s’invente. Car la peinture, sérieuse comme le sont les jeux d’enfants, constitue une transfiguration du réel : par elle, le monde se révèle un territoire souple, malléable, fait de l’étoffe dont sont faits les rêves. Elle nous murmure que la frontière est plus poreuse que nous le soupçonnons.

 

Dans cette exposition, Émile rend hommage à la douceur du quotidien, aux mythes et aux rituels discrets qui l’animent. Chaque toile recèle son lot de symboles et de petits miracles, de moments de fête et de contemplation, de jeu et de tendresse. Entre le jour et la nuit, dans l’éternel crépuscule, les modèles deviennent des icônes. Chez Émile Orange, on pourrait parler d’éthique de la figuration : il nous propose d’accueillir les êtres et les lieux comme autant de mystères. Quand un visage ouvre une porte vers l’universel, alors la peinture est une révélation.

Armand Camphuis

Commissaire d'exposition et critique d'art

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